- Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
- Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
- Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
- Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules
- Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
- Dans la même prison le même mouvement.
- Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
- Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
- Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
- Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
- Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
- Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
- Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
- Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
- Ils semblent dire à Dieu: - Petits comme nous sommes,
- Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
- Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
- Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
- Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
- La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
- Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -
- D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
- Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
- Qui produit la richesse en créant la misère,
- Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
- Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ?
- Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
- Une âme à la machine et la retire à l'homme !
- Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
- Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
- Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
- Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
- Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
- Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !
Victor Hugo
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